dimanche 26 juin 2011

Nyani et l’histoire des œufs fable de la jungle de Paul White

DAUDI s'en venait de l'hôpital. Le soir tombait Yohanna, installé devant le feu de camp, le héla.
- Vous, Honorable, et mélangeur de médecine, dites moi comment un œuf, de bon qu'il est, devient-il mauvais? - Yoh, répliqua Daudi, c'est bien simple, n'y touche  pas, et il deviendra mauvais de lui-même.
Autour du feu des rires fusèrent. Yohanna reprit : - Et comment un mauvais œuf peut-il devenir bon? Il y eut un chœur d'exclamations.
- Cela n'arrive pas, assura l'un.
Yohanna se courba sur sa jambe infirme.
- Il est vrai qu'en ce qui concerne les œufs, cela n'arrive pas, mais bien en ce qui concerne les vies d'hommes. Tous sont mauvais. Ainsi le dit le Livre de Dieu: « Il n'y a point de- juste,
« Pas même un seul. »
Mais, par la puissance de Dieu, une mauvaise vie peut devenir une vie bonne. Asseyez-vous et écoutez l'histoire de Nyani et des œufs.

DEUX petits singes, Pupou et Oho, descendaient, en se traînant, d'une branche du buyu.
Devant eux se pavanait la Corneille.
Pupou s'approcha de sa sœurette et lui susurra le proverbe des singes: « Là ça démange, là se trouvent les doudous. »
Oho fut d'accord, c'était une expérience commune et un dicton connu.
- Donc, ô Oho, là où tu vois des oiseaux, là tu trouves des œufs.
A l'affût, Pupou chercha et ses yeux brillèrent. De son menton il indiqua un point.
- Là-haut! Vois-tu? un nid.
Pupou se faufila parmi les ramilles, inspecta le nid et revint découvrant ses dents et serrant un œuf plutôt sale.
Il le jeta à Oho. Elle le rut de guingois et le renvoya avec si peu d'adresse que Pupou, qui pourtant l'agrippait par queue et pattes, ne put le retenir.
Cet œuf, assez malpropre, tomba avec un faible ploc en se cassant sur la branche inférieure.
Des débris parvinrent un message qui n'était pas un régal pour le nez! Pressant très fort leurs narines, les deux singes décampèrent. Ils aperçurent alors, dans l'arbre de famille, l'oncle Nyani qui se baladait élégamment sur sa branche personnelle. Leur conscience réagit.
D'une main, Nyani tenait un œuf venu tout chaud du nid de Kote-Kote-la-poule. Ses babines palpitaient par anticipation. Avec minutie, il pratiqua un joli trou à l'extrémité arrondie de l'œuf et, concentré et appréciateur, y appliqua sa bouche. Ses joues se creusaient et ses yeux lui sortaient de la tête pendant qu'il suçait.
Pupou et Oho rejoignirent leurs camarades-singes.
Pleins d'envie et d'une crainte mêlée d'admiration, ils fixaient l'oncle.
Ingénieux, Nyani réussit à extraire la dernière vitamine de l'œuf, enroula convenablement sa queue et se donna des tapes sur la poitrine.
- Les œufs, prononça-t-il du ton qu'utilisent les orateurs habitués à pérorer en public, les œufs, ah! combien ils réconfortent l'estomac.

Ce souvenir fit trembler ses lèvres. - Cependant, certains œufs ...
Nyani attacha solidement sa queue à un rameau et pointa deux doigts en direction des petits singes dont les pupilles s'élargirent de frayeur.
- Certains œufs, enchna-t-il, sont une offense pour le nez, une horreur pour le palais et une insulte pour les intérieurs d'un singe.
La tête des jeunes membres de son espèce dodelina en guise de totale approbation.
- Dites, comment pouvez-vous savoir, ô Singe de réelle expérience, quels sont ceux-ci et quels sont ceux-là? Questionnèrent-ils.
Pensif, Nyani se gratta. Il choisit avec soin ses mots.
Entre son pouce et son index, il prit un œuf imaginaire. - Il Y en a qui tiennent luf entre leur œil et le soleil.

On les nomme ceux-qui-regardent, bien que l'œil le plus perçant du singe le plus avipuisse l'induire en erreur. - Il y a aussi ceux-qui-écoutent. Nyani fit semblant d'approcher l'œuf de son oreille et de le secouer.
- Mais l'oreille du singe la meilleure peut se tromper. Il se pencha en avant et, confidentiel:
- Il Y a aussi ceux-qui-cassent la coquille pour examiner son contenu.
- Ooooh!
Plusieurs nez de singes, courts et plissés, se détournèrent délicatement vers en haut.
Nyani continua à développer le sujet.
- L'expérience la plus valable consiste à prendre une grosse courge, à la remplir d'eau et à mettre l'œuf dans cette eau. Les œufs qui plongent au fond sont bons; ce sont ceux qui apportent la satisfaction, et mettent de la gaieté dans les yeux, de la joie à l'estomac et donnent de l'agilité à la queue.
D'un mouvement de sa patte gauche, Nyani changea de position sur sa branche. Une note sévère durcit sa voix de singe.
- Les œufs qui ne flottent pas à la surface, ni ne plongent au fond, sont tout juste bons à être offerts en cadeau à qui il n'est dû qu'un mince respect.
L'un des jeunes singes branla la tête en connaissance de cause: une fois il avait fait un tel cadeau.
Le timbre de Nyani monta à l'aigu.
- Quant aux œufs qui flottent sur l'eau - qui flottent sur l'eau ai-je dit - jetez-les habilement au loin dans la direction où souffle le vent.
Le sens de cette phrase pénétra lentement dans ces étroits cerveaux de singe.
DAUDI, le visage éclairé d'un sourire termina son récit. - Parce que vous ne pouvez pas voir à travers sa coquille, vous êtes obligés de vérifier luf dans l'eau. Dieu, lui, peut voir à travers vous. Il n'a pas besoin d'une cale­basse d'eau pour connaître votre cœur.
Rappelez-vous et pensez, en mettant la tête sur l'oreiller, que Dieu voit jusqu'au fond de votre ur. Que voit-il quand il regarde en vous?